A-coups
Je vis à coups de coups au coeur et de douleurs par à-coups.
J'ai des espoirs minimes et infinis à la fois. Ils construisent l'édifice fragile de ma joie. Et comme l'édifice n'est pas cimenté, ma joie pas aussi lourdement existante que mon corps, alors la construction ridicule et insignifiante s'effondre au moindre coup de vent. En plus, c'est l'automne, alors le vent...
C'est un peu ridicule, d'être un point parmi tant d'autres. De revendiquer son unicité, comme tout le monde, et de lutter contre ses propres petits démons pour parvenir à des victoires dont personne n'a rien à foutre et dont personne n'aura la politesse de se souvenir dans l'avenir.
L'hypothétique avenir. Tout est à faire et tout dépend des petites forces arrachées à l'immense amas de faiblesse qui me constitue. J'ai besoin d'écoute et de solutions, mais pas de passivité ni de conseils. J'ai besoin de tout et surtout de rien, ce rien que je sais mériter.
Pourquoi? c'est évident non? non justement, rien n'est évident en moi, tout est caché, tout est sali profondément, par l'amas de mocheté qui me recouvre et me ronge comme la graisse me déforme. J'ai une forme humaine lointaine, et un coeur humain déconstruit.
Et je n'aime pas les gens parce que les gens ne peuvent pas m'aimer. J'ai peur de leur existence trop forte, trop vive et trop facile, qui s'écoule dans les rires sonores et les chagrins consolables, dans les joies conventionnelles et les amitiés nombreuses. Et j'ai peur d'eux, de leurs yeux aveugles ou lucides qui se posent sur moi, pour jauger en quelques secondes de mon insignifiance, parce que je ne mérite rien d'autre. J'ai l'impression que mon rôle est de me débattre. Pour quoi, en fait? Ni l'amour, ni l'amitié, ni même le respect, mais pas la haine. L'indifférence peut-être, le mépris sûrement.
Et les minutes sont faites de coups au coeur qui me frappent avec la régularité d'une mécanique bien huilée. On m'a attribué un taux de joie fixe impossible à dépasser, comme la surface de l'eau qu'on voit d'en-dessous, il faut me marcher dessus avec acharnement, régulièrement, pour que je continue à me débattre pour rien, à étouffer laborieusement. Et je reçois les coups au coeur comme un châtiment que mérite ma nullité, et je souris et je jubile presque quand on m'en donne. J'attends qu'on me trahisse, qu'on m'abandonne, qu'on me blesse et qu'on me réduise à un néant abordable, sans plus de compétition et sans espoir.
Pour pouvoir dire "c'est tout ce que je mérite" et pour arrêter de me battre.